niedziela, 4 kwietnia 2010

ENTRE L ESPAGNE ET L AMERIQUE

ENTRE L ESPAGNE ET L AMERIQUE :

ENTRE L’ESPAGNE ET L’AMERIQUE – ETUDE DE LA QUESTION DU LIVRE AUX

XVIe ET XVIIe SIECLES

Les pratiques liées à la « lecture » et à l’ « écriture » connurent en Europe une

évolution marquée par des vagues d’intérêt plus grandes qu’à d’autres moments de l’histoire.

Après le grand succès du livre manuscrit aux XIIe-XIIIe siècles, quand les sociétés

européennes commencèrent à passer de « l’oral » vers « l’écrit », la période décisive

suivante fut le XVIe siècle. Dù surtout à l’invention de l’imprimerie dans le siècle précédant, le

nouveau succès du livre consistait en une croissance sans précédant de la production écrite et

de sa diffusion.1 Dans le monde moderne, issu de la Renaissance, le livre cessa d’être un objet

rare et précieux et devint un bien accessible à de nombreuses catégories des gens auparavant

privées de ce privilège. Les livres de toute sorte : populaires et érudits, en langues vulgaires

ou classiques, s’installèrent ainsi définitivement dans le paysage de l’Europe.

En Espagne de l’époque, dont le grand symbole sur le plan littéraire est Miguel de

Cervantes, le phénomène décrit plus haut fut accompagné par une expansion impériale à

l’échelle jusqu’alors inconnue. La colonisation, qui « n’était autre chose qu’une prolongation

des modèles culturels en vigueur en Espagne »2, entraina en effet une exportation de l’écrit -

l’un des piliers principaux de la culture européenne moderne. Le chapitre « américain » de

cette expansion espagnole nous servira de fond sur lequel nous essayerons de dépeindre la

question du livre dans cette période de l’histoire, à savoir aux XVIe et XVIIe siècles.

Le livre espagnol en Amérique

La conquête du Nouveau Monde fut à l’origine d’une véritable révolution dans

l’histoire du livre : « Dès les débuts du XVIe siècle, parti à son tour à la conquête des terres

qu’atteignent les Ibériques, le livre européen traverse l’Atlantique avec les conquistadores, les

missionnaires et les représentants de la Couronne comme il avait suivi les Portugais en

Afrique et sur les côtes de l’Inde. [...] Pour la première fois dans l’histoire, les livres comme

les navires circulent sur tous les océans ».3 La même curiosité qui poussa les Espagnols à

quitter leurs maisons de la Péninsule pour se rendre en Amérique explique sans doute leur

intérêt aigu pour la production littéraire européenne. Les livres partaient et circulaient avec les

lecteurs, en les suivant dans leurs voyages. Des bibliothèques entières voyageaient ainsi avec

leurs propriétaires, au point que « les bibliophiles et les érudits ne manquaient presque jamais

de quoi satisfaire leur curiosité ».4 À Mexico, à l’aube du XVIIe, aussi bien les grands ordres

religieux que les vice-rois et les particuliers détenaient d’imposantes bibliothèques contenant

suffisamment d’ouvrages de référence « pour que l’on puisse imaginer le monde et s’informer

sur lui sans sortir de la ville ».5

L’intérêt croissant qu’avaient pour la production écrite les habitants des colonies

espagnoles d’outre-mer fut à l’origine d’un développement très dynamique du commerce de

livre à l’échelle internationale. Le marché constitué par les Espagnols, métis et Indiens lettrés

de l’Amérique était suffisamment grand pour intéresser les libraires de la Péninsule. Même les

« nouveautés » pouvaient être lues en Amérique, souvent très peu de temps après leur

apparition en Espagne. Tel était par exemple le cas des Comédies de Lope de Vega ou du

chef-d’œuvre de Cervantes - Don Quichotte. « Si une bonne partie de la première édition du

Don Quichotte prend la mer pour l’Amérique et le Pérou, c’est que les volumes fraîchement

édités, les libraires le savent, s’y écouleront à meilleur prix ».6 Considérées par les imprimeurs

espagnols comme des investissements risqués, les premières éditions partaient souvent de

l’autre côté de l’océan, où les lecteurs étaient avides de toutes sortes de lectures.

Entre 1558 et la fin du XVIIe siècle, plus de huit mille livres furent expédiés de

l’Espagne vers les Indes occidentales. Mais il faut noter que les sources qui nous permettent

de chiffrer les exportations de la production littéraire européenne sont loin de connaitre la

vraie quantité des livres qui traversèrent l’océan dans ces premiers siècles coloniaux. Il

semble bien en effet que ce chiffre pourrait être multiplié par dix si l’on tient compte de la

contrebande et de tout ce que les administrations ibériques n’ont pas réussi à noter.7

Si la contrebande ait devenu une pratique courante, c’est notamment à cause de la

censure. Une partie importante des livres expédiés depuis l’Espagne était en effet composée

des titres interdits là-bas et, de ce fait, difficiles à vendre dans la Péninsule. En les envoyant

de l’autre côté de l’océan les libraires évitaient les risques liés à leur distribution dans leur

pays d’origine, tout en s’assurant des revenus avantageux.

Le livre comme objet « dangereux »

Très vite, les autorités civiles et ecclésiastiques se sont rendu compte du danger

qu’entrainait la diffusion incontrôlée de l’écrit. En Europe, depuis l’invention de l’imprimerie,

il s’est avéré que le livre peut servir d’arme idéologique de grande portée : « Dans cette

guerre idéologique [provoquée par la Réforme] l’imprimerie montra [...] ses immenses

possibilités et ses influences néfastes. Luter [...] l’utilisa pour gagner de nouveaux adeptes de

sa doctrine à travers la diffusion des xylographies anticatholiques, des bibles en langues

vernaculaires et des livres liturgiques ».8

Afin d’éviter l’exportation des conflits européens sur la terre américaine, dès le début

de la présence espagnole dans ces territoires, la Couronne et l’Église entreprirent une

« guerre » contre l’introduction dans le Nouveau Monde des œuvres critiques envers les

institutions, à la foi et à la morale. Les instabilités potentielles qui pouvaient en résulter

inquiétaient aussi bien les pouvoirs locaux que la métropole. Celle-ci, n’hésitait pas à envoyer

des dispositions aux gouverneurs des provinces, tentait de maintenir le contrôle sur la

diffusion du livre, notamment en essayant de conserver entre ses mains le monopole quant au

commerce du livre. Le contrôle des livres « voyageant » entre les deux continents était donc

bilatéral : aussi bien les ports Espagnols que ceux du Nouveau Monde servaient de scène sur

laquelle se déroulait la « chasse aux livres ».

Les commissaires spéciaux désignés pour cette tâche recevaient régulièrement, de la

part du tribunal de l’Inquisition, des instructions précisant la manière dont ils devaient

procéder aux inspections des livres qui arrivaient : « Les livres sont l’une des principales

raisons de l’inspection des navires, tout particulièrement les caisses qui font partie de la

cargaison».9 Aucun bateau arrivant ne pouvait échapper à l’examen (visita) des inspecteurs

douaniers, décrété en 1556 et strictement observé.10

Mais l’attention des inspecteurs porta aussi sur les livres composant les bibliothèques

et librairies déjà existantes. Les propriétaires de celles-ci étaient obligés, de leur part, de livrer

régulièrement aux autorités des inventaires des collections qu’ils possédaient. A cela

s’ajoutaient les inspections qui, réalisées par surprise, finissaient souvent par trouver les

objets recherchés. La confiscation des textes interdits ou suspects, qui devint une pratique

courante, nous a légué sous forme de protocoles une trace inestimable qui nous donne

aujourd’hui un aperçu de l’état de la vie culturelle de la Nouvelle Espagne.

L’acharnement simultané de la Couronne et de l’Église quant à la nécessité de

combattre les livres hérétiques peut surprendre. Une telle méfiance vis-à-vis des ouvrages

« contaminés » ne se comprend que dans un contexte plus large, façonné par la bulle Inter

Caetera du 1493. La christianisation de l’Amérique n’était en effet pas une action spontanée

de l’Eglise, mais une obligation juridique imposée aux Espagnols par le pape avec la

promulgation de cette bulle. Mais la mission spirituelle de l’Espagne, par-delà son rôle d’alibi

de la domination politique et économique, avait également pour fonction d’instaurer l’ordre

dans le chaos des Indes. Avec cette tâche, qui consistait à « civiliser » l’Amérique à l’image

de l’Europe, tout en évitant les erreurs et les déviations de l’Ancien Monde, la religion était

donc un véritable enjeu de pouvoir, et le livre - un outil fondamental de cette entreprise.

Inspirés par la bulle Inter Caetera et instruits par le Concile de Trente, qui fut très

explicite quant à la nécessité de limiter la circulation des livres suspectes ou nuisibles, les

conciles américains consacrèrent une attention particulière à ce problème. Le Premier Concile

Provincial Mexicain (1555) insistait déjà ouvertement sur le danger que représentaient

l’impression et la diffusion des livres considérés comme dangereux. Les Deuxième et

Troisième Concile (1565 et 1585), encore plus radicaux, sanctionnaient « avec la

excommunication les infracteurs qui imprimaient ou commercialisaient les livres avant qu’ils

ne soient examinés. »11

Malgré les efforts considérables des institutions concernées, la pénétration des livres

indésirables ne pouvait pas être arrêtée. Parallèlement à l’évangélisation « arriva sa sœur

inséparable - l’hétérodoxie, qu’elle soit religieuse ou scientifique ».12 Aussi bien les Bibles

protestantes, les écrits des humanistes de la Renaissance que les œuvres de médicine ou

encore celles portant sur l’astronomie enrichirent les collections américaines, ce qui ne

manquait pas de déplaire aux missionnaires.

L’index des livres interdits de 1551

Le besoin croissant d’ouvrages adaptés aux exigences de l’évangélisation fut à

l’origine de l’introduction de l’imprimerie en Amérique, dont la première fut ouverte en 1538

à Mexico. Paradoxalement, les mêmes arguments, notamment d’ordre religieux, qui freinaient

l’importation des livres depuis l’Europe favorisèrent la fabrication des livres sur place.

L’objectif prioritaire : l’endoctrinement des indigènes, est toutefois resté le même. Avec

l’implantation des imprimeries dans le Nouveau Monde apparurent les premiers ouvrages en

langues vernaculaires, censées mieux répondre aux besoins de l’évangélisation : « Les presses

d’origine ibérique stimulent l’essor d’une littérature chrétienne en langue locale, accélérant la

circulation des textes, des idées et des croyances européennes ».13 L’introduction de

l’ « écrit » entraina ainsi une transcription en alphabet latin des langues amérindiennes dont

aucune ne s’écrivait : « L’impression des livres sur place offre l’occasion de domestiquer les

langues locales, en les fixant typographiquement, en les prenant dans les rets de la grammaire

latine, [...] et en les soumettant aux astreintes et aux entrées de dictionnaires ».14

L’établissement de la presse en Amérique nous livre ainsi une preuve incontournable du fait

que, contrairement aux nombreuses « légendes noires », l’action des Espagnols dans les Indes

« n’était pas entièrement répressive, mais principalement créative et stimulante ».15

Toutefois, tous les livres circulant en Amérique n’étaient pas nécessairement religieux.

Grâce à la traduction, un nombre important d’œuvres classiques de la littérature européenne

gagnèrent des adeptes dans le Nouveau Monde. Le métissage conceptuel, engendré par cette

littérature, est perceptible entre autres dans les arts plastiques des indigènes, qui n’hésitaient

pas à mélanger les motifs européens avec leurs propres traditions et croyances, ce qu’on voit

par exemple dans les fresques décorant les églises coloniales.

La littérature populaire

Malgré le poids indiscutable qu’avaient dans la vie culturelle des colonies espagnoles

les grandes œuvres classiques de la littérature européenne et les ouvrages religieux, il est

important de noter qu’il y existait également un grand corpus des livres représentant des

formes littéraires plus « légères », notamment les romans de chevalerie.

L’apparition des romans de chevalerie, vers la fin du XVe siècle, entraina une véritable

« démocratisation » des pratiques liées à la lecture. Les romans en question constituaient,

selon les mots d’Irving Leonard, « la première littérature populaire à démontrer le potentiel

commercial de la presse récemment inventée ».16 Ils consistaient habituellement en des longs

récits racontant les exploits imaginaires des héros chevaleresques, qui se déroulaient dans les

pays mi-fantastiques, habités par des monstres. En tant que genre littéraire, le roman de

chevalerie est issu des ballades folkloriques, et la popularité qu’il gagna en Espagne au XVIe

siècle constituait, dans un certain sens, une renaissance de la passion médiévale pour les

ballades de ce type.17 Malgré les nombreux opposants qu’avaient les romans de chevalerie en

Espagne, entre autres en la personne de la reine Isabelle, leur publication, distribution et

possession n’ont jamais fait l’objet de poursuites dans la Péninsule.

Très vite devenus à la mode dans d’autres pays de l’Europe, en gagnant la faveur de

toutes les classes lettrés de la société18, la popularité des romans de chevalerie s’étendit

également en Amérique. Contrairement aux idées reçues à ce sujet, la lutte avec la pénétration

de ce genre de livres dans le Nouveau Monde ne figurait pas parmi les priorités de la

Couronne. Aussi bien les documents américains que ceux retrouvés en Espagne démontrent

en effet que tout au long de la domination espagnole des quantités importantes de romans de

chevalerie étaient expédiées aux colonies, où ils circulaient librement par la suite.19 Y compris

l’Inquisition s’est montrée indifférente vis-à-vis de ces ouvrages car aucun titre relevant de

cette catégorie n’apparaît sur l’Index des livres interdits.20 Les activités restrictives du Saint-

Office se limitaient en effet à la littérature théologique et religieuse. Or, les romans

chevaleresques occupaient à l’époque une place de premier rang dans la vie culturelle des

habitants des colonies comme de ceux de l’Espagne. Véritable passion de l’époque, c’est peut

être dans cette littérature qu’on doit chercher l’inspiration des aventuriers espagnols partis à la

conquête de l’Amérique ?21

Le retour sur l’Europe du livre américain

Bien que tous les grands romans de chevalerie lus en Amérique furent écrits en

Espagne, le flux des livres entre l’Ancien et le Nouveau Mondes n’était pas unilatéral. Les

chroniques écrites par les conquistadores et, plus tard, par les métis et les Indiens eux-mêmes

connurent en effet un succès considérable en Europe. Les écrits du Nouveau Monde

trouvèrent ainsi leur place dans la littérature européenne, dont nombreux sont devenus des

« best-sellers », souvent encore du vivant de leurs auteurs. Dans le très riche corpus des

ouvrages « américaines », les Lettres de Cortés, les chroniques du soldat Cieza de León ou

encore les Commentaires Royaux de l’Inca Garcilaso de la Vega ne sont que quelques uns des

nombreux exemples.

Curieusement, la majorité des oeuvres écrites en Amérique revenait vers le Vieux

Monde sous forme des manuscrits, le retour de l’imprimé américain en Europe restant

pendant longtemps une exception.22 Envoyés en Espagne, ces manuscrits y étaient souvent

imprimés par la suite et parfois revenaient plus tard sous cette forme en Amérique. La raison

de ce paradoxe réside dans les restrictions sévères quant à l’impression des livres dans les

colonies espagnoles. La procédure de publication nécessitait en effet une permission spéciale

des autorités en Espagne, ce qui signifiait des délais avoisinant parfois plusieurs années, ainsi

que d’autres risques, comme ceux qui étaient liés aux accidents du transport maritime.

L’interventionnisme de la Couronne et de l’Eglise dans la politique culturelle des

colonies espagnoles d’Amérique est un fait d’histoire. Le livre, qui fut à l’époque le pilier

principal de la vie culturelle, était sans doute au centre de l’intérêt des institutions en question.

Toutefois, leur influence sur le monde littéraire aux XVIe et XVIIe siècles semble avoir été

intentionnellement exagérée. La présence en Amérique, quelques mois à peine après leur

parution, des grands chefs-d’œuvre de la littérature espagnole nous livre peut-être le meilleur

témoignage d’une certaine liberté dont jouissaient les colonies américaines en matière de la

politique culturelle. La circulation des livres entre l’Europe et l’Amérique étant strictement

liée à la circulation d’idées, il en résulte que les provinces américaines de l’Empire espagnol

étaient loin de vivre dans l’état d’isolement et de retard culturel que certains ont tendance à

croire.

BIBLIOGRAPHIE

CASTILLO GÓMEZ Antonio, Escribir y leer en el siglo de Cervantes, Barcelone, Gedisa,

1999

FERNÁNDEZ DEL CASTILLO Francisco, Libros y libreros en el siglo XVI, Mexico, Fondo

de cultura económica, 1982

GONZÁLEZ SÁNCHEZ Carlos Alberto, Los mundos del libro, Séville, Universidad de

Sevilla, 1999

GRUZINSKI Serge, Les quatre parties du monde: histoire d’une mondialisation, Paris,

Editions de la Martinière, 2004

IRVING Leonard, Books of the Brave, Berkeley, University of California Press, 1992


Brak komentarzy: