niedziela, 22 listopada 2009

LUMIERES D'EUROPE -ENTRE CIEL ET TERRE

Krzysztof A. Jeżewski


L’EUROPE ENTRE LE DÉSASTRE ET L’ESPOIR
Discours prononcé au colloque international « Lumières d’Europe entre ciel et terre »
24-26 septembre 2009 à Paris

Lumières d’Europe… J’avoue que ces paroles me rendent perplexe, me mettent mal à l’aise… Lumières ou ténèbres ? Ou peut-être un étrange amalgame des deux comme dans la pensée taoïste où l’un engendre l’autre ? En 1977, alors que la dictature communiste à l’Est de l’Europe entrait dans sa phase finale et empruntait le chemin de son inévitable chute, j’ai
écrit un poème qui exprimait toute ma rancune envers ce continent qui était pourtant notre maison commune depuis des siècles :

EUROPE

Elle tombe
elle croule
l’écorce du temps
s’écroule le grenier de l’histoire
s’écroule le bric-à-brac des siècles
peu à peu s’éteint notre demeure
notre temple ridicule
et presque rien n’est à sauver
sinon peut-être quelques sons
de harpe
quelques gestes
revêtus de pierre
la lumière dans les rets de la toile
un débris de colonne
afin que la ruine
soit pittoresque

Eloignons-nous d’ici
où seulement sont les décombres
enveloppés du faux-brillant
d’une gloire vaniteuse
colifichets et fanfreluches d’une puissance
sous laquelle transparaissent
les contre-façons



Trop de morgue
d’ergotage
de jonglerie
d’avidité
de cruauté
trop de déguisement

Le mensonge s’est rivé à nous
telle la tunique de Déjanire.

A présent tout demeure
comme privé d’être.
Décors d’un drame
qui survécut à lui-même.

Mais la scène est vide.
De pauvres accessoires
continuent toujours leur jeu
sans paroles
sans acteurs

Pourvu qu’il nous soit donné de retourner
aux sources premières.
Retrouver dans la mort
la semence des aurores nouvelles.

Trop tard. Seule la trahison
indiquera le juste chemin.

Nous avons bâti notre nid sur un arbre
qui n’existe plus.



Soyons francs, sur quoi avaient débouché les idéaux du XVIIIème siècle ? : sur le carnage de la Vendée et la folie meurtrière de la Révolution française, sur les guerres infinies menées par Napoléon, sur les horreurs de l’impérialisme, du capitalisme et du colonialisme anglais, russe, français et allemand… Je ne veux pas dire, bien sûr, que ces idéaux en sont directement coupables, mais sont-ils vraiment innocents ? Le désir de la liberté totale ne nous enchaîne-t-elle pas dans les fers d’un nouvel esclavage ? Ainsi, avons-nous vu apparaître en plein milieu du XIXème siècle les germes de toutes les monstruosités du XXème : totalitarisme communiste et nazi, antisémitisme, racisme, pangermanisme, manipulation des peuples par une propagande mensongère, civilisation matérialiste à outrance, abrutissante, orientée uniquement vers la consommation…
Ou chercher alors les coupables ? Parmi les peuples ? Certainement pas. Parmi les politiciens et les militaires ? Sans doute. Mais les vrais coupables ne sont-ils pas les philosophes, les intellectuels, les idéologues, les scientifiques ? Ce sont bien eux qui ont érigé les bases dont se sont servi les premiers qui n’ont fait que mettre en œuvre, incarner et réaliser leurs idées ? Marx avec sa « dictature du prolétariat », Nietzsche avec sa « mort de Dieu »…
Même si le sens des leurs paroles a été pris par les peuples au premier degré…Et puis, n’est-il pas effarant le nombre d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes et de scientifiques qui ont servi ensuite les régimes nazi et bolchevique ? Ne sont-ils pas complices des millions de morts que ces systèmes criminels avaient engendrés ?
« Les mots non seulement nous expriment, mais ils nous jugent » disait Cyprian Norwid, l’un des plus grand poètes et penseurs polonais, génie universel, poète de la conscience, un des maîtres à penser de Jean Paul II. Joseph Brodsky le considérait comme le plus grand poète du XIXème siècle. Il mettait également en garde contre l’illusion du soi-disant « progrès » qui, s’il n’est pas fondé sur la spiritualité et le respect de la personne humaine, mène au désastre et à la mort.
Je voudrais citer à ce propos quelques exemples très significatifs : Celui de Joseph Arthur comte de Gobineau, écrivain et diplomate français dont les théories racistes ont inspirés le nazisme ; Celui de Fritz Faber, chimiste et nationaliste allemand d’origine juive qui avait inventé les gaz toxiques qui ont fait des centaines de milliers de morts pendant la Première Guerre mondiale, ce qui n’a pas empêché l’Académie suédoise de lui décerner le prix Nobel en 1918, alors qu’il s’attendait à être jugé par un tribunal international ! Mais il ne s’est pas arrêté là : il inventa plus tard le cyclone B qui avait servi aux nazis à exterminer des millions de Juifs !; Celui de l’empereur Hirohito, biologiste de formation, qui avait autorisé depuis 1936 les armes bactériologiques pour effectuer des expériences monstrueuses à vif sur des prisonniers de guerre dont des dizaines de milliers sont morts, sans parler d’engager son pays dans la plus meurtrière de guerres ; Celui de Josef Mengele, médecin assassin allemand d’Auschwitz ; Celui de l’évêque autrichien Alois Hudal qui essayait de concilier (chose incroyable !) le catholicisme et le nazisme et après la guerre aida à s’enfuir nombre de criminels nazis vers l’Amérique Latine ; Celui de Louis Aragon, écrivain stalinien français, auteur d’une ode à la GPU (NKVD), coupable, on le sait, de quelques dizaines de millions de victimes innocentes ! Et combien d’autres se sont encanaillées avec les régimes et les idéologies totalitaires : Maïakovski, Neruda, Céline, Brasillach, Hamsun, Heidegger, Orff, Karajan… Décidément, les fameux Aveugles de Bruegel ne sont-ils pas une image adéquate de l’humanité ?
Et pourtant, déjà Rabelais disait au XVIème siècle que « la science sans conscience n’est que ruine de l’âme »… De nos jours, Witold Gombrowicz, un des plus grands contestataires de la civilisation moderne, s’en est pris violemment lui aussi à la science : « la science abrutit, la science rapetisse, la science défigure, la science déforme » écrivait-il dans son célèbre Journal. Il ne mettait pas en question la science elle-même, mais un certain esprit scientifique, cynique, anti-humaniste, irrespectueux de la nature, dépourvu de sensibilité. Avant lui, Stanislaw Ignacy Witkiewicz, philosophe, romancier, auteur dramatique et peintre, le « génie multiple de la Pologne » prédisait la disparition des sentiments métaphysiques sous l’influence de la civilisation scientiste et technique moderne donc la fin de l’art. Il faisait partie du catastrophisme polonais qui a produit nombre d’œuvres étonnantes dans la première moitié du XXème siècle. Je viens de publier en France, en première mondiale, car cela n’a jamais été fait encore même en Pologne, une anthologie de la poésie catastrophiste de ce pays. Les poètes polonais ont fait preuve d’un esprit visionnaire stupéfiant, d’une véritable clairvoyance par rapport à ce qui devait arriver vingt ans plus tard : la pire hécatombe de l’humanité où la Pologne, victime à la fois du nazisme et du stalinisme, devait perdre presque six millions de ses citoyens dont trois millions de Juifs. La moitié de son domaine national a été détruit ou pillé et elle a subi d’énormes pertes territoriales. Tout cela on le voyait venir du côté polonais, alors que l’Europe, dans sa cécité et son insouciance, batifolant au milieu des « années folles » dévalait tout droit dans l’abîme. Telle la voyait Jerzy Braun, poète, romancier, philosophe, auteur dramatique, pendant la Deuxième Guerre un des dirigeants de la Résistance, condamné plus tard par le régime communiste à quinze ans de prison, dans un poème écrit en… 1922 ! Notons que la même année Friedrich von Murnau a produit son prophétique Nosferatu… :

À L’EUROPE 

Continent d’Europe décrépit, vermoulure tremblante,
secoué de fièvre sénile, toussant un sang noir
que l’océan l’inonde, que les cyclones le soufflent,
que les requins l’engloutissent dans leurs entrailles de dragon.

Dans ce tunnel d’infamie, ce puits inondé
où grouille nerveusement une vermine de termites,
la larve noire de la pourriture par ses effluves venimeux
dévore dans la mémoire les cris de la conscience.

L’odeur de la bourse, le froissement des billets de banque
ont mêlé au cerveau humain le cambouis des usines,
ils ont craché les âmes des corps des ilotes livides et rabougris.
Aujourd’hui, même le Christ sanglant ne les réveillera plus.

Arrive, Océan ! – Par l’avalanche du Niagara
ébranle les capitales de Sodome, réduis-les à néant !
Inonde d’un nouveau déluge les drapeaux du continent affadi,
qu’aucun navire n’échappe aux griffes de la mort.

Que tout et toute chose fassent naufrage – que périsse le cirque du monde,
que sur ses ruines les méduses se mettent à danser leurs gavottes,
que les coraux envahissent de leurs rubans écarlates
les grabats écroulés de la sauterelle humaine.

Tremble, Europe !
Déjà arrive le désastre tonnant !
Un mur écumant roule tel un typhon lointain !
Fracas, mugissements, ricanements des flots tourbillonnants
éclateront en brumes vers le soleil
et la mort saumâtre engloutira un milliard de corps pour l’éternité !

Il faut dire que son vœux a été parfaitement exaucé…

Vous vous demandez peut-être où est-ce que je veux en venir ? Eh, bien je voudrais tout
simplement faire remarquer que les seuls lucides de l’histoire semblent être le plus souvent les poètes et parfois les hommes d’Eglise. Qu’on se souvienne de la critique sévère du capitalisme et du socialisme de Léon XIII à la fin du XIXème siècle, reprise par Jean Paul II, et la condamnation du nazisme et du communisme par Pie XI. Le christianisme peut être un bon allié de la démocratie, car il est fondé sur le respect de la personne humaine. C’est la religion de la liberté qui permet à l’homme de décider de son sort. Pour elle chaque homme est unique, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu unique et comme tel il mérite un respect absolu. La meilleure preuve en était la lutte héroïque de l’Eglise polonaise contre le nazisme et le communisme dans laquelle plusieurs milliers de prêtres polonais ont été massacrés. D’autre part c’est surtout les poètes qui voyaient nettement le visage diabolique du nazisme et du communisme. C’est surtout eux qui étaient spécialement sensibles à la métaphysique du Mal. L’immense poète et penseur lituanien d’expression française, Oscar Milosz, n’a-t-il pas prédit l’avènement de la catastrophe dans son Apocalypse de saint Jean déchiffrée ?
Cependant, comme de la Ténèbre naît la Lumière, ainsi l’Apocalypse de la Deuxième Guerre a été une grande catharsis pour l’Europe. Il est vrai, elle a dû encore beaucoup souffrir à cause de la tyrannie communiste à l’Est. Mais aujourd’hui, quand tous ses mensonges se sont enfin effondrés et que tous ses crimes ont été dévoilés, l’Europe purifiée se fait une nouvelle jeunesse, solidaire de tous ses innombrables morts et martyrs qui ne sont pas finalement disparus pour rien. Mais elle doit toujours se méfier du totalitarisme des idéologies, de la science, voire du libéralisme même, car nous savons maintenant que ce qui peut paraître comme bien peut dissimuler en son fond le virus du mal.

Cyprian Norwid qui a prophétisé en 1852 la venue d’une grande guerre des peuples, annonçait également la création de l’Union Européenne dans son essai L’Abolition de la nation écrit vers 1871 : « Qu’est-ce qui distingue la nation européenne des nations d’autres parties du monde ? La réponse est que les nations européennes accomplissent leur développement grâce au commerce avec la totalité morale de l’Europe qui, soit les protège
partiellement, soit les embrasse entièrement : ces nations européennes ne se caractérisent donc pas par les seuls éléments constitutifs qui les distinguent des autres nations, mais en même temps par les éléments constitutifs qui les unissent aux autres. On pourrait dire que les nations européennes devraient ainsi posséder plus pleinement que d’autres leurs propres identités, car une identité condamnée à la solitude n’est pas encore accomplie, et c’est seulement par le commerce avec d’autres identités qu’on fait mûrir sa propre essence. Ceci est vrai à tel point
qu’une nation se compose non seulement de ce qui la distingue des autres, mais encore de ce
qui l’unit aux autres ; cette force d’union internationale n’est point une concession ou un préjudice, mais au contraire une qualité de la plénitude de son caractère et une propriété positive. »
Il semble que, malgré toutes les difficultés et tous les tâtonnements, l’Europe, riche de sa diversité, a enfin compris ce message et qu’elle est pour la première fois sur la bonne voie, digne de tout ce qu’elle a produit de meilleur, digne de l’héritage de tous ses Grands Esprits qui l’ont bâtie…

Puis-je à la fin exprimer un souhait à l’adresse de cette nouvelle Europe ?

Comment sortir du chaos et renouveler ce monde ?
Laisser penser le cœur et sentir la raison.

Krzysztof A. Jeżewski

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